“Osez vivre la vie pleinement!”

“Osez vivre la vie pleinement!”

Emile Abou Chaar est un jeune libanais de 29 ans, aujourd’hui responsable de la pastorale de la santé et de la pastorale des jeunes dans la région diocésaine de Neuchâtel et accompagnant spirituel au Centre Neuchâtelois de Psychiatrie à Neuchâtel. Il est également membre du nouveau Conseil des jeunes au Vatican.

Après la fin de ses études de pharmacien et quelques années de travail au Liban, Emile est venu en Suisse dans le cadre d’un programme de mobilité en théologie avec l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et l’Université de Lausanne pour suivre un CAS en accompagnement spirituel en milieu de la santé (2019-2020). A cause du Covid, il a dû reporter son stage prévu en septembre 2020. Après une année au Liban, le voici de retour à Neuchâtel.

Accompagnant spirituel

L’accompagnant spirituel marche au rythme du patient et de ses besoins. Emile définit la spiritualité comme tout ce qui est en rapport avec le sens de la vie de la personne, sa relation de transcendance avec une force extérieur ou une chose qui lui permet de sortir d’elle-même en lien avec son identité et ses valeurs. Cela peut inclure certes des questions de foi mais aussi sa relation aux autres ou avec la musique par exemple.

Une quête de sens

Emile note que beaucoup de problématiques sont similaires dans le milieu psychiatrique: solitude, désapartenance,…  Ne pas appartenir à un groupe, ne pas se sentir engagé dans une communauté particulière, est un grand manque qui se répercute sur les troubles mentaux de la personne. Ce manque d’amour, cette blessure – parfois de l’enfance – amène des questions existentielles sur le sens de la vie, sur la raison pour laquelle nous vivons.

En partant du vécu de la personne (Pourquoi elle est là? Que s’est-il passé?), il essaye de rentrer dans le système de croyance de la personne car il considère que tout comportement de l’être humain suppose une croyance. «Si je crois que mes enfants sont ma raison de vivre, je vais tout faire pour eux. Mon comportement sera centré sur eux. Si je crois que Dieu est amour, je vais sentir que je suis aimé donc je vais me comporter comme un être aimé. Mais si je crois que la vie n’a pas de sens, je ne comprends pas pourquoi j’existe donc cela peut amener à un grand mal être, voir à un suicide par exemple. Ce qui parait très logique. Tout comportement suscite une croyance et cela se répercute sur nos émotions et sur la composition neurochimique de notre cerveau en nous obligeant à faire certains actes. C’est pour cela que j’entre dans le système pour voir comment la personne se voit, voit le monde, voit sa vie, pourquoi elle prend un traitement, pourquoi elle est là.»

Spiritualité et société

Dans la réalité neuchâteloise, il y a une séparation entre l’Etat et l’Eglise qui fait que cette dernière est vue comme quelque chose d’externe qui vient se plonger dans le milieu hospitalier. Cela veut dire que les accompagnants spirituels ne sont pas incorporés directement dans la prise en charge du patient. Pourtant, l’équipe soignante est très soucieuse de la question de la spiritualité chez le patient. Dès lors, comment l’inclure ? Emile espère que la société s’ouvrira plus à cette question. «On croit souvent que le spirituel est de l’ordre de l’intime mais pour moi la spiritualité est une ressource, quelle qu’elle soit, si elle donne un chemin de vie.»

Représentant des jeunes maronites

Entre 2016 et 2019, Emile était responsable de la pastorale des jeunes du diocèse maronite d’Antelias au Liban. Il lui a été proposé de représenter tous les jeunes maronites du monde lors du Synode des Jeunes sur la foi, les jeunes et le discernement vocationnel. Lors de la réunion pré-synodale, il a rencontré 350 jeunes du monde réunis pour parler des jeunes avec des jeunes, tisser des liens avec la curie romaine, avec les cardinaux et les évêques puis rencontrer le pape François. C’était pour lui une grande grâce.

Répartis en douze groupes linguistiques, ils ont répondu à quinze questions sur la vocation, l’accompagnement des jeunes, la relation entre l’Eglise et les jeunes ou encore sur les défis et les opportunités des jeunes. Ce premier travail de groupe a été l’occasion pour Emile de rencontrer des personnes de France, du Luxembourg, d’Afrique et du Moyen-Orient. Il a fallu ensuite regrouper toutes les réponses en un seul rapport. Emile a fait partie de ce groupe de rédaction et a ainsi participé à la synthèse et à la traduction du document.

La phase synodale à proprement parler est ensuite réservée aux évêques qui se sont inspirés du travail réalisé en amont par les jeunes eux-mêmes. Elle a été réalisée en octobre 2018.

Le synode, et après?

Après un synode, il y a ce que l’on appelle une réunion post-synodale qui consiste à voir comment la démarche synodale s’est implantée dans les milieux de pastorales des jeunes du monde. «C’était magnifique comme expérience. Ils m’ont demandé de coordonner une équipe francophone. On a parlé d’innovation dans la pastorale des jeunes et de Christus vivit (l’exhortation apostolique post-synodale du pape François, fruit du synode). J’ai vraiment vu une différence et une amélioration globale depuis le synode. On est très enthousiaste à l’idée de faire participer les jeunes à la vie de l’Eglise. Il y a une plus grande écoute des jeunes et une plus grande implication de ces derniers. Il est vraiment important d’inclure les jeunes dans toutes les pastorales, pas que dans la pastorale des jeunes.»

Un bureau des jeunes au Vatican

Une première action concrète de ce synode, proposée d’ailleurs par Mgr Alain de Raemy (évêques des jeunes en Suisse), a été la création, dans le bureau des jeunes du Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, d’un organisme consultatif des jeunes (International Youth Advisory Body)1 qui veut intégrer la voix des jeunes dans les décisions du Vatican. C’est un groupe de vingt personnes choisies et nommées dans le monde entier pour être des consultants afin d’améliorer la façon d’être et de faire de la pastorale des jeunes de l’Eglise universelle. C’est une première dans l’histoire de l’Eglise. Emile a été ainsi nommé pour être une voix des jeunes du Moyen-Orient depuis novembre 2019.

Les vingt jeunes se réunissent chaque deux-trois mois en ligne et travaillent ensemble sur plusieurs projets. Si le bureau des jeunes propose quelque chose, il demande d’abord son avis au conseil dont fait partie Emile. Il arrive aussi que le bureau leur demande un message pour le Pape. D’autres fois, il les consulte sur différents sujets comme l’éthique, la sexualité, la famille, les technologies médicales, etc.

La force de la multiculturalité

L’Organisme consultatif des jeunes regroupe des représentants de vingt milieux différents. Lorsque l’un d’entre eux rapporte quelque chose, cela va répondre aux besoins d’une réalité qui concerne sa région. La mise en commun permet à chaque membre de se compléter et de répondre ainsi aux besoins des jeunes du monde. «On essaye de bien discerner les choses. On essaye de proposer des choses qui sont concrètes mais qui n’embêtent pas pour que tout le monde se sente inclus. Chaque pastorale des jeunes du monde a la grande responsabilité de parler du Christ dans sa propre région. C’est la seule à le faire. C’est une pastorale qui doit être responsable.»

Un appel à vivre pleinement

«Pour moi, la vocation c’est un appel à vivre la vie pleinement. Dieu nous appelle à vivre la vie pleinement et c’est à nous de décider comment la vivre, dans quel cadre. J’appartiens à ce courant de l’Eglise qui distingue la volonté de Dieu et la volonté de la personne humaine. Il y a ce que Dieu espère pour moi et ce que j’espère pour ma vie. A moi de discerner ce que Dieu espère pour moi. Si je suis son appel, c’est très bien. Mais si je ne le fais pas et que je décide de faire autre chose, Dieu sera toujours avec moi et il va bénir mon action.»

A l’exemple de Jésus

«La vocation est donc un appel à vivre la vie pleinement et si je vis ma vie humaine pleinement, je serai comme Dieu. Pourquoi? Parce que, Lui, c’est l’Homme parfait qui est venu sur terre et qui nous a montré un exemple parfait d’être humain. Si nous suivons son exemple, alors nous devenons de plus en plus humains. Jésus nous a changé la vie. Il a donné de nouveaux concepts qui n’existaient pas avant. Il a donné un sens profond à notre vie, il a renouvelé les mentalités. Il nous a révélé que l’être humain est à l’image de Dieu donc à l’image d’une relation et cette relation, quand je la vie avec autrui comme Jésus l’a vécu, je deviens de plus en plus humain.»

Un message pour les jeunes

«Osez vivre la vie pleinement, sans peur, dans l’instant présent, dans votre réalité. A chaque jour suffit sa peine mais en même temps la vie est très belle malgré tous les défis. Je viens d’un milieu où il y a beaucoup de défis. Chez nous, au Liban, il n’y a plus d’électricité, de médicaments, de travail. Avoir de l’électricité 24h sur 24 est donc un luxe. Profitez de ce que vous avez car si une journée n’est pas vécu pleinement, c’est une journée de perdu.»

 

Propos recueilli par Benjamin Bender

1http://www.laityfamilylife.va/content/laityfamilylife/fr/news/2019/istituzione-dellorganismo-consultivo-internazionale-dei-giovani.html